Voir également :
Colonialisme, clientélisme et censure : l’autre visage de la Mission laïque française
Les marchands de soupe de la Mission laïque française : clientélisme et enfants-rois (1/3)
Les marchands de soupe de la Mission laïque française : violences et omerta (2/3)
Transcription de l’interview :
[Chanson de François Béranger, Blues parlé du syndicat]
Alors, qu’est-ce qui se passe dans cet établissement, dans ces établissements on peut dire, c’est assez général, en tout cas pour l’Egypte, dans ces établissements au Caire, Salah ?
SL : Alors, pour commencer, j’étais à Paris et j’ai postulé directement auprès de la Mission laïque française pour un poste à l’étranger, et assez rapidement, j’ai été contacté par un établissement du Caire qui s’appelle MISR Language Schools, et qui je le précise tout de suite est l’établissement le plus réputé du Caire au niveau de la qualité de l’enseignement, etc., et donc les places s’y arrachent.
Présentateur 3 : En français, en langue française.
SL: C’est ça, enseignement en Français, cours en Français. Il y a également des enseignements en arabe bien sûr, pour le cursus égyptien, mais en tout cas, j’ai été recruté par la section française de cet établissement, donc directement par le Proviseur M. T., je me trouvais à Paris.
Ensuite, j’ai pris mes fonctions dans cet établissement et effectivement, j’ai été confronté à des conditions assez chaotiques. Je précise que c’était au mois de novembre [2012], donc c’était après la rentrée. Ce qui s’était passé, c’est que la titulaire du poste, qui avait une dizaine d’années d’expérience, notamment dans le 93, avait tout simplement quitté son poste, déserté entre guillemets ses fonctions parce qu’elle n’arrivait tout simplement pas à gérer la situation. Et donc j’ai très rapidement découvert que ce qui m’était présenté comme une fragilité de la part de cette enseignante était en fait quelque chose de symptomatique, de structurel dans cet établissement où il y avait vraiment un chaos inconcevable.
Je vais donner quelques éléments : effectivement, on parlait des droits d’inscription, ils sont assez faramineux. Me semble-t-il, c’est de l’ordre de 4000 à 5000 euros pour cet établissement. Maintenant, on est en Egypte, un pays du Tiers Monde. En France, je sais pas s’il y a beaucoup de personnes qui seraient capables de payer cette somme-là. En Egypte, en tout cas, c’est seulement les gens de la classe très aisée qui peuvent se permettre cela.
Présentateur 3 : Intéressant.
SL : Donc c’est vraiment du clientélisme, ce sont des clients. Et là-bas, comme on dit, le client est roi. Les enfants, ce sont des VIP entre guillemets, donc ce sont eux qui ont toujours prépondérance, qui priment sur les enseignants. Pourquoi ? Parce que si on perd un élève, on perd une somme d’argent assez conséquente, une rentrée d’argent conséquente. Par contre, si on perd un enseignant, eh bien il suffit de le remplacer, et vu qu’ils ne sont pas du tout regardants sur les compétences des enseignants, c’est assez [facile].
Les enseignants étaient accablés, et j’ai découvert après une semaine… Déjà, ma première journée a été effroyable, je me suis littéralement fait dévorer par les élèves, qui venaient de chasser entre guillemets une enseignante et donc qui voulaient faire un peu la même chose avec moi. Et ce que j’ai découvert assez rapidement, c’est que ces enfants-là étaient intouchables. Par exemple, ce qui se passait avec ma collègue précédente, c’est qu’elle faisait son travail, elle essayait de les tenir, de les sanctionner, etc. Mais qu’est-ce qui se passe ? Un élève qui est sanctionné, tout de suite en sortant de cours, il va voir le Proviseur, M. [Frédéric] TUMPICH, et M. TUMPICH annule les punitions, et donc comment un Professeur peut faire face à ses élèves s’il leur a mis une punition mais qu’elle est supprimée par la hiérarchie, donc c’est absolument ingérable.
Présentateur 3 : C’est la débâcle assurée. Disons aussi que…
Présentateur 4 : Alors c’était quel genre de punitions, justement, est-ce que c’était seulement faire des lignes ou c’était des exposés à faire ?
SL. : C’est ça, c’est toutes les punitions classiques que peut donner un enseignant, recopier des passages, faire des exercices supplémentaires, voire être collé, etc. Mais il suffit que les élèves se plaignent, que les parents se plaignent, pour que cette punition soit immédiatement annulée.
Présentateur 4 : Et c’était courant ce genre de punitions ?
SL : Les professeurs qui essayaient de les mettre en place, en tout cas, avaient beaucoup de difficultés, et en fait, plus les professeurs essayaient de faire leur travail, plus ils avait des difficultés.
Présentateur 4 : Mais peut être que la répression n’était pas le bon message, c’était peut-être ce que le directeur voulait faire passer comme message ? La répression, n’est peut-être pas le meilleur message à faire passer à des élèves ? Votre autorité devrait être admise d’elle même, mais ne devait pas s’imposer à coups de répression ?…
Présentateur 3 : [Rires] Il se fait l’avocat du diable…
SL : Mais certainement parce que nous sommes, nous vivons dans ce contexte-là, on sait qu’on n’est pas dans un Etat de droit, et d’ailleurs c’est un peu sur ça que joue la Mission laïque française, la Mission laïque française a une Charte des personnels dans laquelle elle spécifie, je cite à la lettre, « la Mission laïque française qui est leur employeur », qui est l’employeur des enseignants, donc on est recrutés en France pour être envoyés dans des pays où le droit n’occupe pas une place très importante, mais quand même on se sent protégés par notre statut de Français et le fait qu’on travaille dans une institution française, mais après, dès qu’on a le moindre problème, on est abandonnés complètement, et même accablés, c’est vraiment [terrible], et ce n’est pas possible de faire quoi que ce soit [pour faire valoir ses droits]. Et sachant ce qui se passe, sachant que ce n’est pas un Etat de droit, sachant que ça peut aller effectivement très loin comme ce fut le cas avec moi, vraiment on est encouragés à des comportements de soumission, de docilité, surtout ne pas faire de vagues parce que Dieu sait ce qui peut nous arriver dans un tel contexte.
Présentateur 3 : Alors juste avant de développer ton cas personnel, rappelons que la MLF, la Mission laïque française, c’est une des deux grandes structures qui gèrent les établissements d’’enseignement français à l’étranger, avec un réseau sensiblement moins important quand même que l’AEFE…
Présentateur 4 : C’est quoi l’AEFE ?
Présentateur 3 : L’Agence de l’enseignement français à l’étranger qui relève et qui est directement rattachée, contrairement à la MLF qui est une association, au Ministère des affaires étrangères. La MLF (ce n’est pas un point fondamental, mais je pense que c’est quand même intéressant à noter), la MLF, pour bien montrer la considération dans laquelle elle tient ses personnels, et bien elle fait payer le dossier de recrutement. Tu nous le confirmes ? Il faut postuler par internet je crois…
SL : C’est ça oui, j’avais envoyé un dossier…
Présentateur 3 : Il y a des frais, simplement pour postuler, il y a des frais même si on n’est pas finalement recruté.
SL : Alors là j’ai pas le souvenir, j’ai fait le dossier mais en fait peut-être que ça ne s’est pas tout à fait passé [comme d’habitude] car j’ai été recruté en cours de année, peut être qu’il y a eu des choses différentes…
Présentateur 3 : Il me semble bien que c’est la procédure habituelle, c’est de faire payer une soixantaine d’euros pour postuler.
SL : C’est tout à fait possible, mais ça remonte à 2012…
Présentateur 1 : Donc ok, on revient dans cet établissement, alors comment s’appelle cet établissement français du Caire ?
[A suivre]