Dans mon dernier article sur les attentats de Volgograd, j’ai écrit ce qui suit :
Les terroristes du Daghestan ont bien tiré les leçons de la Tchétchénie, et ils n’essaient jamais de contrôler de territoire ou de créer une sorte de mini-État wahhabite au Daghestan : bien au contraire, jour après jour, les forces de sécurité affrontent les terroristes Daghestanais, ce qui se termine à chaque fois pour eux par la capture ou la mort (surtout la mort). La raison en est évidente : les terroristes du Daghestan sont faibles et ils ne peuvent même pas s’en prendre aux policiers locaux. Mais ils sont juste assez forts pour attacher des explosifs sur un jeune homme ou une jeune femme et les envoyer se faire sauter dans une station de bus ou de train.

Les images que je veux montrer ici aujourd’hui sont un exemple typique d’un événement qui se produit presque chaque semaine au Daghestan : les forces de sécurité sont alertées par des habitants du coin (la plupart des Daghestanais *haïssent* viscéralement les terroristes) et on assiste dans l’obscurité de la nuit au spectacle de l’évacuation discrète de tous les habitants de l’immeuble, sauf les terroristes présumés. A l’aube, les forces de sécurité appellent les terroristes et leur offrent la possibilité de se rendre. Lorsque ces derniers refusent, ce qui est fréquent, les membres de leur famille ont la possibilité de parler avec eux dans l’espoir que ceux qui ne veulent pas mourir, ou qui sont indécis, pourront sortir. Dans la vidéo d’aujourd’hui, vous voyez une grand-mère parler à sa fille qui refuse de se rendre, mais qui accepte que la grand-mère emporte sa petite-fille. Finalement, les forces de sécurité lancent un assaut sur les terroristes et les tuent tous. Voici les images de ce qui s’est déroulé hier (le 2 janvier 2014) dans la ville de Khassaviourt :

A la fin de la vidéo, certaines armes trouvées à l’intérieur de l’appartement sont montrées.
Au cours de l’année, j’ai vu beaucoup de vidéos de ce genre dans les bulletins d’information quotidiens de la télévision russe, et elles suivent à peu près toutes le même scénario. Un scénario beaucoup moins fréquent, mais qui se produit aussi tous les quelques mois environ, est qu’un groupe terroriste est repéré quelque part dans les montagnes, et une opération « recherche et destruction » impliquant plusieurs services est organisée entre la police locale, la police spéciale, le Ministère des Affaires Intérieures et les forces Spetsnaz du FSB (généralement, l’unité militaire Spetsnaz GRU ne participe pas à ces opérations). Il s’agit d’opérations beaucoup plus dangereuses au cours desquelles les terroristes parviennent souvent à blesser ou même tuer quelques agents de sécurité avant d’être tués eux-mêmes.
Quant aux terroristes, en général, ils tuent des policiers aux postes de sécurité (checkpoints) ou placent des voitures piégées près d’un poste de police ou d’un bâtiment officiel. De temps en temps, ils aiment tuer un fonctionnaire local ou un imam local qui osent désapprouver ouvertement leurs actions. La grande majorité de ces attaques sont menées à l’intérieur du Daghestan, bien que certaines puissent atteindre d’autres parties de la Russie méridionale, ou même au-delà.
C’est la triste réalité de la vie au Daghestan aujourd’hui, où les gens essaient de vivre leur vie quotidienne malgré la prégnance en toile de fond d’opérations de sécurité apparemment interminables. Et bien que les services de sécurité aient clairement le dessus, du moins jusqu’à présent, les répercussions psychologiques et économiques sur la république sont considérables, même si relativement peu de Daghestanais sont eux-mêmes des victimes directes de cette lente guerre larvée entre les terroristes wahhabites et les agences de sécurité. Imaginez ce que ça peut être que d’aller à l’école, de faire du shopping ou d’aller au travail dans un endroit où vous pourriez à tout moment vous retrouver à proximité d’un attentat ou d’une opération de sécurité.
Marat Shikhshaitov
 Quelques mots sur les terroristes à présent. Ils sont également assez typiques. Hier, trois corps ont été retrouvés après l’assaut. L’un n’a pas encore été identifié, mais les deux autres sont bien connus des services de sécurité : ce sont Marat Shikhshaitov (né en 1987, il a quitté sa femme et ses trois enfants pour entrer dans la clandestinité avec les wahhabites en 2012, et il a participé à plusieurs attentats à la bombe et à diverses activités délictueuses) et Aisha Idigova (née en 1986, elle est la veuve d’un autre terroriste bien connu, Ruslan Magometov, qui a été tué en 2006 par les forces de sécurité lors d’une opération similaire à celle qui a eu lieu hier).

Aisha Idigova
D’un point de vue tactique, les forces de sécurité ont obtenu une autre « victoire » : trois dangereux terroristes ont été tués, aucun civil ou agent de sécurité n’a été blessé. Mais au niveau stratégique, c’est encore une autre petite défaite pour le Daghestan, car cela accentue davantage l’image du Daghestan comme un foyer de terrorisme et d’extrémisme. Ce qui est particulièrement inquiétant, c’est qu’il n’y a pas de fin à tout cela en vue, pour toutes les raisons que j’ai évoquées dans mon article précédent, et qui peuvent se résumer en disant que « le Daghestan n’est pas la Tchétchénie ». Il n’y a vraiment pas de solution locale, aucun Kadyrov Daghestanais, et la seule « solution » possible serait de faire presque l’exact opposé de ce qui a été fait en Tchétchénie – au lieu de donner au Daghestan un degré maximal d’indépendance et d’autonomie, le Kremlin pourrait y déclarer la loi martiale, suspendre toutes les autorités locales, inonder la république de forces de sécurité et réorganiser fondamentalement toute la société du Daghestan, en particulier les structures du pouvoir, sur des lignes non-éthiques. C’est du moins l’option théorique. Quant à savoir dans quelle mesure c’est un plan réaliste, cette question est largement débattue par beaucoup d’observateurs très intelligents et bien informés qui sont résolument opposés à une telle « solution ». Personnellement, je suis aussi assez sceptique vis-à-vis d’une telle approche.
L’autre solution est de poursuivre le cours actuel des choses et d’espérer qu’un jour viendra où les Daghestanais en auront vraiment marre de tout ce qui se passe maintenant. Et quand je dis « les Daghestanais », je ne veux pas dire une majorité de Daghestanais, tout simplement parce que la majorité en a *déjà* marre. Non, je veux dire une super- majorité écrasante qui exigerait que les différentes élites économiques et ethniques locales se réunissent et s’engagent à prendre des mesures. Je crois que cet effort doit être principalement la responsabilité et l’initiative des autorités locales et pas du Centre Fédéral. Tout ce que ce dernier peut faire est de fournir du soutien et des ressources.

Est-ce qu’un tel changement dans la société du Daghestan va se produire ? Je ne sais pas. Pas plus que je ne peux prédire, même de manière vague, combien de temps cela prendrait. Tout ce que je sais, c’est que dans le futur proche, un changement réel est peu probable et que les rapports hebdomadaires en provenance du Daghestan évoquant plus de terroristes tués par les forces de sécurité continueront.

Le Saqr

Traduction : http://sayed7asan.blogspot.fr 

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