
Pepe Escobar : L’Ukraine est sans aucun doute victime de la stratégie détournée de l’administration Obama pour se venger de ne pas avoir été autorisée à bombarder la Syrie (elle en a en fait été sauvée, ainsi que des conséquences horribles qu’aurait entraîné une telle action, par Moscou). Les seules choses qui comptent pour Washington en Ukraine, dans cet ordre, sont : 1) y implanter des bases de l’OTAN. 2) le « Pipelineistan », à savoir que les grandes compagnies pétrolières US contrôlent les richesses pétrolières et gazières encore inexplorées. 3) que l’agro-business US s’empare des terres ukrainiennes fertiles. L’Union européenne n’a pas besoin de l’Ukraine et n’en veut pas, car pour sauver celle-ci de la faillite, elle aurait besoin de fonds qu’elle n’a pas (sans parler du fait qu’une telle opération enragerait plus encore des millions d’Européens déjà démunis).
Ainsi les USA ne sont-ils pas en train d’essayer d’« obtenir » l’Ukraine pour l’intégrer dans l’OTAN ou à d’autres fins, mais ce qu’ils veulent, c’est priver la Russie de l’Ukraine dans l’espoir de l’empêcher de devenir un nouvel empire soviétique. Il s’agit donc purement d’un jeu à somme nulle – toute perte pour la Russie est, par définition, un gain pour les USA. Le fait que la Russie soit déjà une superpuissance capable d’arrêter les USA (comme l’a démontré la crise syrienne) ou le fait que la Russie n’ait pas l’intention de devenir une autre Union soviétique ou même toute autre sorte d’empire (les empires sont coûteux et les Russes n’ont pas le désir de devenir une autre URSS) ne fait aucune différence : la ploutocratie US croit cela et base ses actions sur cette croyance. En outre, les élites US ont été humiliées dans la crise syrienne et veulent maintenant montrer à la Russie et au reste du monde « qui est le patron ». Enfin, ajoutez à cela l’influence de certains lobbies ethniques très puissants qui partagent une haine commune pour la Russie (Juifs, Ukrainiens, Polonais) et vous obtiendrez une politique dont le seul but est de rendre les choses aussi mauvaises que possible pour la Russie. Rien de nouveau là-dedans.
Au cours de la guerre en Afghanistan, les USA ont fait le choix de soutenir complètement les pires terroristes wahhabites uniquement pour affaiblir l’URSS. Maintenant, les USA apportent leur soutien à des nationalistes néo-fascistes violents. La seule condition pour que n’importe quel groupe terroriste, si fanatique et malfaisant soit-il, puisse obtenir de l’argent de la CIA et de ses filiales, c’est de haïr la Russie. Les guerres en Croatie, en Bosnie et au Kosovo n’avaient pas d’autre but que de « faire la misère aux Russes ». Et si nous regardons de plus près au cœur de cette haine maniaque des élites usaméricaines à l’encontre de la Russie, nous constatons que très peu de choses ont changé en Occident depuis le Moyen-Age : les élites occidentales ont toujours détesté la Russie à cause de son orthodoxie et pour avoir refusé d’être conquise.

2) Quels sont selon vous les objectifs stratégiques de la Russie (de Poutine) et les moyens tactiques d’y parvenir ?
En ce sens, ce n’est pas une « politique de Poutine », mais une « politique russe » : mis à part les quelques minuscules partis financés par la CIA et qui ne représentent pas plus de 1 ou 2 % de la population russe, il existe un consensus parmi tous les principaux mouvements politiques de Russie en faveur de la position russe actuelle face à cette crise que les Russes considèrent comme une menace existentielle. Lorsque l’OTAN a bombardé les Serbes en Croatie, en Bosnie et au Kosovo, la Russie était gouvernée par une marionnette occidentale alcoolique, Eltsine, et une clique d’oligarques majoritairement juifs appelée la « Semibankirchtchina» (les sept banquiers) : la Russie était alors très semblable à l’Ukraine d’aujourd’hui. Mais même à cette époque, la majorité du peuple russe savait parfaitement que la dévastation des Balkans par les USA était un message adressé à eux : « regardez ce que nous pouvons faire subir à vos alliés – et vous êtes les prochains sur la liste ». Ce sentiment a été largement renforcé par la guerre clandestine des USA contre la Syrie, la plupart des Russes ayant compris qu’Assad tuait en Syrie exactement le même type de nervis wahhabites malfaisants que Poutine avait dû écraser en Tchétchénie. Beaucoup de Russes se sont alors exprimés ainsi : « nous devons remercier Assad de les tuer là-bas, cela nous permet de ne pas avoir à le faire ici » et « si nous laissons Assad se faire renverser, nous serons les prochains ». Ce qui se dit aujourd’hui en Russie, c’est qu’« il ne s’agit plus des Serbes ou des Syriens, cette fois c’est nous qui sommes directementmenacés ». Ainsi, pour la grande majorité des Russes – y compris Poutine –, le principal objectif stratégique est simple : ne pas laisser la Russie devenir la prochaine Bosnie, le prochain Kosovo ou la prochaine Syrie. En d’autres termes, il s’agit de survie. Le deuxième objectif stratégique de la Russie est d’empêcher que toute l’Ukraine devienne un « Banderastan[2] » et de protéger la population russophone de la menace d’un asservissement par un régime ouvertement néo-fasciste et raciste.
Le troisième objectif stratégique de la Russie est de réaliser les deux premiers objectifs, si possible, sans déclencher une guerre avec les USA / l’OTAN. Remarquez bien que j’ai énuméré ces objectifs par ordre de priorité et que si les USA / l’OTAN menacent de déclencher une guerre totale, le Kremlin ne cèdera pas sur ses deux premiers objectifs stratégiques. Il ne faut pas faire d’erreurs d’analyse, la Russie est prête à entrer en guerre pour ces deux objectifs, Poutine ne bluffe pas.
Quant à la tactique choisie par la Russie, elle est assez sophistiquée. Selon un diction bien connu, « lorsque la Russie est menacée, elle ne se met pas en colère, elle se concentre. » C’est ce qui se passe aujourd’hui. L’essence de la tactique russe est la suivante : d’abord, protéger militairement la Crimée pour lui permettre de se séparer de l’actuel Banderastan et ainsi créer un précédent et un exemple : Alors que dans la moitié des régions actuellement contrôlées par les néo-fascistes, les salaires des fonctionnaires de l’Etat ne sont pas payés du tout, et alors que le régime révolutionnaire à Kiev a déjà indiqué qu’il envisageait de réduire tous ces salaires de 50%, en Crimée, tous les salaires et tous les services sociaux seront payés en totalité à tout le monde, même à ceux qui ont préféré démissionner plutôt que de reconnaître les autorités de Crimée. Les foules du Banderastan vont bientôt découvrir que diriger un pays est une tâche autrement plus ardue que de tabasser des flics non armés et d’entonner l’hymne national.
Ensuite, la Russie a menacé de recourir à la force militaire si les forces banderistes essayent de s’emparer du Sud (Odessa, Nikolaïev, Kherson) et de l’Est (Donetsk, Kharkov, Dniepropetrovsk, Lougansk) par la force. Cette menace permet à la fois de dissuader les Banderistes de déchaîner la violence, tout en donnant aux russophones une sorte de « filet de sécurité » pour leurs actions de protestation et de désobéissance civile. Troisièmement, le Kremlin sait que le Banderastan nouvellement créé est en faillite et que les USA et l’UE ne pourront jamais apporter ne serait-ce qu’une partie de l’argent nécessaire pour renflouer ses caisses. Non seulement la Russie a cessé d’envoyer de l’argent à l’Ukraine, mais Gazprom a déclaré que l’accord précédent conclu avec M. Ianoukovitch a été violé par le nouveau régime, de sorte que le prix du gaz pour l’Ukraine va maintenant augmenter fortement. Enfin, les régions les plus riches de l’Ukraine sont, précisément, l’Est et le Sud du pays qui essayent maintenant de ne pas payer d’impôts au régime illégal de Kiev. Et si les Banderistes parviennent à s’emparer de l’Est, alors l’ensemble de son industrie s’effondrera instantanément (car elle dépend entièrement de la Russie). Ainsi, le temps joue en faveur de la Russie et le nouveau Banderastan n’est tout simplement pas viable. Sans argent, sans énergie et sans la possibilité de gouverner par la terreur (du moins dans le Sud et l’Est), le nouveau régime va inévitablement s’effondrer. La Russie ne s’investira à nouveau dans l’État-croupion d’Ukraine qu’une fois que les néo-fascistes auront disparu et qu’un régime civilisé sera revenu au pouvoir à Kiev.

PE : Les marionnettes commencent à penser par elles-mêmes – mais cela requiert certaines aptitudes. L’Allemagne et la Russie – en termes d’énergie et d’investissements – ont déjà un partenariat stratégique ; interrogez n’importe quel capitaine important de l’industrie allemande. Berlin en a vraiment marre de Washington ; l’une des significations de l’exclamation de Vic[toria Nuland] « Ni*ue l’Union européenne » est que les USA voulaient un changement de régime immédiat, avec leur propre marionnette (« Iats[eniouk] ») en place – même aidée par les néo-nazis (Svoboda, le Secteur de droite) au lieu de le réaliser peut-être plus tard, avec la marionnette allemande inexpérimentée (Klitschko) en place.
La seule politique de la Maison des Saoud est leur propre survie – surtout maintenant, la succession d’Abdullah étant toujours ouverte. Cela, mélangé à de la paranoïa et à la haine wahhabite irrationnelle vis-à-vis des chiites, oriente leur « stratégie ». Ils ont acheté la junte de Sissi en Egypte, un petit prix à payer pour se débarrasser des Frères musulmans. Ils auraient adoré une sorte d’émirat en Syrie – et leurs plans ont été frustrés bien que Bandar Bush ait déployé l’artillerie lourde (pas étonnant qu’il ait été remplacé). Et en Irak, ils veulent également un changement de régime, parce qu’ils considèrent Maliki comme une marionnette iranienne. La Maison des Saoud est la principale source des tensions à travers tout le Moyen-Orient.
Certes, Timochenko a le soutien des oligarques et ceux-ci ont beaucoup d’argent, mais du moins à court terme, un fusil de chasse a plus de pouvoir qu’une valise pleine de dollars. Contrairement aux « leaders de l’opposition officielle », les nervis du Maïdan sont entièrement payés et contrôlés par les USA, d’où l’analyse brute mais exacte de Mme Nuland quant au rôle de l’UE dans la crise actuelle. Bien sûr, certains politiciens européens deviennent nerveux, parce qu’après tout, avoir un grand Banderastan au milieu de l’Europe est une chose très dangereuse, mais aucun politicien européen ne remettra jamais ouvertement en cause les USA au sujet de leurs politiques. Au sein de l’UE, les USA sont « les patrons », et tous les politiciens de l’UE le savent. Le fait est qu’il n’y a pas de « politique de l’UE ». L’UE est la pute des USA, et elle fera tout ce que l’Oncle Sam lui dit de faire. Bien sûr, les politiciens de l’UE peuvent faire des discours, ils ont encore quelque chose qui rappelle vaguement une opinion personnelle, mais quand les choses se gâtent, ils sont tous quantité négligeable, et ils le savent.

Notes
